Elle s’appelait Alice CUCIUC et aurait aujourd’hui 76 ans

Né en 1911, à Romanesti (Roumanie), Marcel CUCIUC et sa famille arrivent à Méry-sur-Seine en 1938. Marcel exerce en tant que médecin généraliste et crée un cabinet médical doté d’un équipement radioscopique, l’un des premiers dans la région.

En 1939, il est mobilisé et fait prisonnier avec beaucoup d’autres soldats. Du fait de sa qualité de médecin, prisonnier en Westphalie, il obtient en 1941 une promesse de libération jamais honorée. Il est ensuite envoyé à Lübeck où sont regroupés bon nombre d’officiers juifs.

Les troupes allemandes à leur arrivée à Méry-sur-Seine réquisitionnent la maison des CUCIUC. Etel CUCIUC son épouse et la petite Alice, leur fille née en 1939, sont contraintes de déménager rapidement. Elles sont hébergées par le curé de la paroisse, l’abbé CHARMONT.

Après la débâcle de 1940, les pleins pouvoirs sont donnés à Philippe Pétain. Le gouvernement exilé à VICHY prendra très vite des mesures anti-juives dans le cadre d’une collaboration avec l’Allemagne nazie et fait promulguer le premier statut des juifs en Octobre 1940. Dès le 2 juin 1941, c’est l’interminable recensement des juifs français et étrangers en zone occupée. Le  29 mai 1942,  la 8ème ordonnance rend obligatoire le port de l’étoile juive (étoile à six pointes ayant la dimension de la paume d’une main et les contours noirs. En tissu jaune, avec en caractères noirs l’inscription « juif », elle est maintenue bien visiblement sur le coté gauche de la poitrine). Ses buts : bien reconnaître et humilier la population juive.

S’enchainent alors une vague de mesures discriminatoires : mention à l’encre rouge « JUIF » sur les cartes d’identité et d’alimentation,  interdiction  d’aller au théâtre ou de fréquenter les  lieux publics, les achats devant s’effectuer en fin d’après-midi lorsqu’il n’y a  plus rien dans les magasins, confiscation des biens et des habitations…

0000.1184.03Etel CUCIUC portait l’étoile jaune.

Tous les mois, elle pointait à la Kommandantur, rue de l’hôtel de ville, bien que certaines personnes de son entourage lui suggéraient de fuir. Etel se faisait discrète mais s’affirmait.  Il était hors de question pour elle de se cacher, elle qui s’était engagée auprès de l’association des femmes de prisonniers de guerre.

Jean FIZOT, ancien maire de Méry, se souvient de l’arrestation d’Etel et de sa fille de 5 ans. Il avait 9 ans à  l’époque : « Je marchais sur le trottoir en direction de l’église pour assister à la messe de 7 h 30, j’ai observé devant le numéro 48, une traction « Citroën » dont la porte arrière droite était grande ouverte, des policiers allemands  s’agitaient entre la voiture et la porte d’entrée de la maison, le curé CHARMONT tenait fermement  dans ses bras la petite Alice  puis j’ai vu  sortir Etel de la maison, avec un sac, accompagné par un allemand. Celui-ci l’a poussée violemment dans la voiture. Le curé implorait les policiers de lui laisser Alice, qu’il s’en occuperait avec l’aide de Melle Clémence, sa bonne. La petite fut arrachée des bras du curé et poussée près de sa maman. Puis la voiture est partie en un éclair. Le brave curé pleurait à chaudes larmes, lui qui avait participé à la guerre de 14-18 et déjà vu tellement d’horreur. »  

Leur rafle eut lieu le 27 janvier 1944 en même temps qu’une habitante de Romilly-sur-Seine avec sa petite fille de 11 mois. Après un passage à la Gestapo, rue Diderot, à Troyes, c’est une brève détention à la prison des Hauts-Clos. Elles feront alors l’interminable voyage entassées dans des wagons de marchandises dans les pires conditions. Une première halte aura lieu à Drancy, avant la destination finale d’Auschwitz (camp d’extermination). Etel semble ne pas avoir été séparée de sa fille à Drancy, comme la majorité des mères de famille qui avaient des enfants entre 2  et  14 ans. Elles auraient fait partie du voyage du 10 février 1944 et seraient décédées le 15 février 1944.

Les Méryciens ont toujours conservé une estime et une reconnaissance exceptionnelle  pour toute la famille CUCIUC.

Des témoins d’Alice

Le Dr CUCIUC pleura jusqu’à la fin de ses jours, la disparition de sa femme et de sa fille, et l’abomination cruelle de leur séparation. Il eut à cœur pourtant de laisser une trace en léguant une partie de sa fortune à l’institut Rachi et à la Communauté Juive de Troyes. Comme si la culture et la connaissance de l’autre devaient être un magnifique rempart contre l’ignorance et l’anti-sémitisme.

M . Henri CAHEN, ancien président de la Communauté juive de Troyes et compagnon de captivité de Marcel CUCIUC, fit un extraordinaire travail de recherche et de mémoire en créant au cimetière Juif de Troyes ainsi que dans la Synagogue Rachi, une plaque commémorative en l’honneur de 169 juifs de l’Aube déportés. Le nom d’Alice CUCIUC se situe dans la 1ème colonne, en 21ème place, juste au dessous de celui de sa maman.

De cette façon, chacun lisant simplement le nom et l’âge d’Alice « Alice Cuciuc, 5 ans », se souviendra d’elle éternellement et devient instantanément, même sans l’avoir connu, le témoin de l’existence d’Alice.*

A  l’initiative de Pierre Benoit, ancien pharmacien de Méry-sur-Seine, la municipalité envisage d’ériger une plaque en mémoire d’Etel et  de sa fille Alice, afin que toutes les générations  se souviennent que des femmes et des hommes ont été persécutés pour leurs origines et leurs convictions et que désormais nos différences de culture ou de religion soient des sources d’ enrichissement pour toute l’humanité dans un monde d’égalité et de fraternité.

Source Mémorial de la Shoah, recherches de Pierre BENOIT, compte-rendu de Jean FLIZOT

 

→ En 1945, Marcel CUCIUC, revient d’Allemagne. Il apprend que  sa famille a été exterminée et reprend dans la douleur son activité médicale jusqu’en 1956, à Méry. Le cœur toujours meurtri, il part s’installer à Troyes, peu après son remariage avec Blanche, alsacienne originaire de Sarre Union. Il exercera dans cette ville jusqu’en 1976, avant son décès le 30 septembre 1999.

Rafles dans l’aube des 27 et 28 janvier 1944 : 74 juifs, hommes femmes et enfants, seront arrêtés.

 

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