Fabrice Grenard : « Georges Guinguoin, du mythe à l’histoire »
Un nouvel ouvrage sur Georges Guingouin* vient de paraître : un excellent travail d’historien. Le livre de Fabrice Grenard rétablit une simple vérité : G. Guingouin mérite notre respect en tant que combattant de la résistance, parfois notre admiration, même si son caractère entier a pu provoquer l’incompréhension ou la polémique.
Il est né en 1913 à Magnac-Laval (87) et est mort à Troyes en 2005. Il habitait à Sainte-Savine avec son épouse. Il fut instituteur à Montiéramey puis à Troyes.
L’auteur passe au crible des sources les affabulations ou accusations pour revenir au vrai personnage. «C’était un pur, un idéaliste», a dit de lui le pasteur Chaudier. Cela explique son caractère intransigeant vis-à-vis de l’autorité d’où qu’elle vienne. Pourtant, il fut toute sa vie fidèle à l’idée communiste. Il est donc, dès son adhésion en 1935, un militant très investi et respectueux de la discipline. Il accepta le pacte germano-soviétique comme le fit Marguerite Buffard. C’était, pour les militants de l’époque, une attitude courageuse et c’était prendre de gros risques. Ils seront d’ailleurs déchus de leurs mandats, exclus de leurs métiers, parfois emprisonnés et livrés plus tard aux Allemands par Vichy.
Guingouin est forcé de choisir la clandestinité en février 1941. Il est isolé mais militant. Il distribue l’humanité clandestine et des tracts qu’il fabrique sans discontinuer. Sa foi en l’URSS est sans faille. Il a un accrochage avec Roucaute sur des questions de stratégie (le dirigeant communiste exige qu’il milite en milieu ouvrier et non chez les paysans) : Guingouin refuse. Au regard de l’immense travail qu’il a accompli dans ce milieu rural, on le comprend. Son maquis est fondé au printemps 43. Il y mène un combat sans concession, avec courage et intégrité. Mais on doit obéir au «Préfet du maquis». Il dira être contre la forme pyramidale et centralisée de son parti, mais il l’applique pour lui-même. Meneur charismatique, Guingouin a reconnu l’autorité de Thorez jusqu’en 1953. Son parcours illustre tout à fait celui des communistes de cette période. Il a connu sans protester le flottement idéologique du PCF en 1939 et tenté d’expliquer le revirement de Staline signant le fameux Pacte avec Hitler. Était-ce plus héroïque ou plus républicain de trahir ses idées et de hurler avec les loups que de défendre «la ligne» de Moscou ? L’historien F. Grenard ne prend pas parti, mais replace Guingouin et ses camarades dans leur époque et explique que les communistes s’illustreront ensuite avec plus de facilité que les autres dans la lutte antinazie , du fait que leur culture politique était, depuis 1930, axée contre le racisme et le fascisme en pleine expansion en Europe.
Le Colonel Guingouin organise donc la résistance dans le Limousin de façon intelligente et efficace. Il n’a été, dit Grenard, ni le premier maquisard de France, ni à l’origine du premier maquis, mais il fut un des mieux organisés et des plus efficaces. En fait, il y a deux Guingouin : le Guingouin de la légende et le Guingouin de l’histoire réelle ; celui des documents. Ainsi, F. Grenard n’a pas trouvé trace de l’ordre que le «Préfet du maquis» aurait reçu d’occuper Limoges quelques jours après le débarquement, ordre qu’il aurait refusé d’exécuter pour préserver la population du massacre. Il a quand même libéré la ville un peu plus tard, le 21 août. Mais la tactique d’encerclement de la ville fut une décision collective (Rivier, Staunton, Guingouin) Et malheureusement, les libérateurs laissèrent échapper les miliciens de Vaugelas et la garnison du Gal Gleiniger que les SS contraindront au suicide. En 1945, Georges Guingouin devient maire de Limoges. Il veille à ce qu’il n’y ait pas de justice expéditive. Sa grande critique vis-à-vis de son parti fut de n’avoir pas pu, ou su, dès le retour de Thorez, constituer un mouvement populaire unitaire de la Résistance dont le PCF aurait été le fer de lance.
Les “soucis” du colonel Guingouin viendront après la guerre. Il a des ennemis : la droite collaborationniste et les socialistes Le Bail et Bétoulle qui furent pétainistes. Bétoulle reprend la mairie avec le soutien de toute la droite. D’autre part, Guingouin est lâché par le PCF. En 1952, en pleine guerre froide, l’appareil du parti resserre les rangs. Tillon, Lecoeur, Marty… sont exclus ou s’éloignent. Guingouin est plus coriace mais la rupture est consommée en 1953. C’est alors que Guingouin, isolé, subit une grave attaque des vichystes toujours en poste dans la police et la justice. Il est arrêté, emprisonné six mois durant et lâchement agressé par ses gardiens. Il a failli mourir. Un vaste réseau de soutien autour de Claude Bourdet le fera sortir. à travers le cas Guingouin, Bourdet a compris qu’on cherchait à déshonorer la Résistance. Son avocat, maître Honnet de Troyes, se fait aider par Dumas et Badinter. En 1959, il sort, lavé des accusations d’assassinat.
Guingouin a toujours affirmé après guerre défendre un communisme démocratique. Des tentatives d’échanges avec le PCF jusqu’en 1977 vont échouer. Sa réhabilitation par Robert Hue en 1998, puis le discours de Marie-George Buffet, furent bien entendu trop tardifs. Guingouin n’a cessé de défendre l’honneur de la Résistance et de prendre des positions courageuses et clairvoyantes devant la mondialisation, les inégalités sociales, la montée du FN. Il appelait dans ses discours à une reconquête civique et un sursaut républicain. Le 8 mars 2004, un an avant sa mort, il signait à côté des derniers grands résistants (Aubrac, Cordier, Hessel, Séguy, etc.) un Appel aux jeunes générations : “Créer, c’est résister. Résister, c’est créer”.
Jean Lefèvre
* Georges Guingouin, du mythe à l’histoire / Fabrice Grenard – 26 €