ALBERT KEYSER
Ce portrait d’Albert Keyser a été réalisé à partir de nombreuses sources ou témoignages. Le but est de remplacer les biographies un peu sèches des dictionnaires, réalisées par les historiens ou les associations par un portrait plus sensible, plus proche, plus humain.
Il servira, je crois, à nos rapprocher davantage de ces hommes et femmes qui ont sacrifié leur vie pour nos libertés. Il est encore temps de le faire pour tous les autres. C’est, certes, un long travail, mais oh combien utile.
Albert KEYSER est un résistant français fusillé à Creney (Aube) le 22 février 1944.
Il est issu d’une famille lorraine de Saulnes (Meurthe et Moselle) le 4 février 1902. Son père, Jean-Baptiste Keyser, est ouvrier mineur de fer, sa mère, Marie-Justine Dupont, est déclarée sans profession. Son acte de naissance comporte une curieuse note manuscrite : « fusillé par les boches », témoignage sans doute d’un patriote qui venait consulter l’état-civil et qui ne trouvait pas assez explicite la transcription du décès. Cette transcription est par ailleurs inexacte puisqu’Albert Keyser est déclaré « décédé à Troyes » alors qu’il est mort à Creney.
Mécanicien de formation, il s’installe dans l’Aube et gère un garage à Buchères (1) 19, route de Maisons-Blanches, garage qui fait également office d’entreprise de transport, ce qui s’avérera bien utile par la suite pour son activité résistante. Il est également propriétaire d’un café, attenant au garage, celui que tiendra son épouse encore longtemps après la guerre (2). L’occupation de la France le révolte. Il a la fibre anti-allemande, sans doute du fait de son origine lorraine. Il entre tôt dans un groupe de Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF), organisé dans la région vaudoise, autour de Saint-Parres-les-Vaudes. C’est le groupe Gabriel Péri, du nom d’un journaliste communiste, fusillé au Mont Valérien. Initié par Michel Freud, dirigeant départemental du F.N. (3) qui habite Sainte-Savine, ce noyau d’une dizaine de militants va se montrer très efficace dans sa lutte contre les occupants (4). Il est dirigé par Georges Furier, 27 ans, directeur de la coopérative agricole de Saint-Parres,
Ces militants se spécialisent dans les sabotages et les parachutages. Ils recueillent, par exemple, à l’été 1943 de nombreux containers d’armements qu’ils stockent à la coopérative de Furier puis dans les bois du Bailly (Chauffour-les-Bailly) grâce à André Gaugue, forestier.
Keyser participe en outre au transport des hommes et des armes avec sa camionnette. Il porte assistance à un aviateur américain tombé près de Pont-Sainte-Marie, le 6 septembre 1943. Il lui permet de rejoindre l’Angleterre, via l’Espagne, grâce aux filières mises en place par la Résistance.
D’autres actions sont à mettre au crédit d’Albert Keyser comme le gros parachutage des 21 et 22 septembre qui a lieu au sud de Chamoy, près de Pont-aux-Verriers, qui deviendra un maquis temporaire le 6 juin. Le butin sera caché dans la ferme des époux Ragon à Forêt-Chenu (commune de Saint-Phal). Dans la nuit du 21 septembre, il participe au déraillement d’un train de messagerie sur la voie Paris-Belfort près de Briel-sur-Barse. Des cheminots résistants avaient fourni les tire-fonds capables de déboulonner les rails. Malheureusement, l’arrestation de son co-équipier Fernand Millot en gare de Chalon-sur-Saône, le 1er octobre, casse la belle dynamique du groupe, par ailleurs dénoncé par un certain Georges M. qui fut abattu par la résistance à Saint-Thibault, le 20 août 1944.
Keyser fut arrêté chez lui le 3 octobre 1944 à 7 heures du matin. Sa femme témoignera lors du procès de la Gestapo à Metz en 1952, témoignage relevé aux archives militaires du Blanc (Indre) :
« Pour l’arrestation de mon mari, les Allemands ont d’abord enfoncé les portes et ont perquisitionné la maison. Ils ont trouvé deux mitraillettes dans la cave et ont roué mon mari de coups. Ils ont emporté des bijoux, une bicyclette et une somme de 127 000 Frs. »
« Mon mari a été emmené en camion et conduit à la prison Hennequin. J’ai été à mon tour emmenée à la Gestapo et interrogée. Pfeffer (5) m’a donné l’autorisation de voir mon mari qui avait mal au dos et était mal en point. Son linge sale était plein de sang. »
LA PRISON
Albert Keyser est donc emprisonné et torturé dans le secteur allemand de la prison de la rue Hennequin à Troyes, où le personnel est aussi féroce que les membres de la Gestapo logés aux 32 et 34 boulevard Gambetta. L’itinéraire habituel d’un Résistant arrêté est de passer par le bd Gambetta, puis au centre régional de la Gestapo de Châlons-sur-Marne. Mais il semble que Keyser soit resté à Hennequin et ait été torturé là par Ochs et Hellenthal qui se rendaient souvent à la prison. Roger Gallery dans son ouvrage « Le combat des obscurs » rapporte ce témoignage unique, malheureusement anonyme :
« La dégradation des conditions de détention provoque des tentatives de rébellion parmi les internés. Le 11 décembre 1943, une révolte éclate parmi les résistants détenus dans le quartier allemand. Les détenus de la cellule 6 (avec notamment Georges Furier, Fernand Millot, Albert Keyser, tous membres du groupe FTP Gabriel Péri) et Charles Varlet parviennent à assommer l’un des gardiens, le bâillonnent et lui dérobent son trousseau de clefs. Ils réussissent à ouvrir des cellules mais les Allemands réagissent et rétablissent la situation. Nombre de prisonniers subissent des coups. » (Lu dans « Les 3 prisons ».)
De la même façon, ce témoignage curieux du même auteur : « Tous les quatre furent affreusement torturés à coups de nerf de bœuf et ils furent obligés de boire toutes les heures un demi litre d’eau salée pendant cinq jours… » Le procédé de l’eau salée n’a été utilisé dans les camps que pour faire mourir les gitans qui ne pouvaient alors survivre que pendant une douzaine de jours. L’inquisition au moyen-âge l’utilisait aussi. La méthode assez sophistiquée était-elle connue des nazis troyens, barbares primitifs qui ne connaissaient, semble-t-il, que les coups aux douleurs et blessures immédiates ? Il peut aussi s’agir d’une mauvaise lecture pour « eau sale ». Le supplice de la baignoire se faisait couramment dans l’eau sale car jamais changée. Le nerf de bœuf était l’arme habituelle de Ochs, Hellenthal et du fameux Joseph, gardien à Hennequin, mais l’eau salée n’a été signalée dans aucune déposition.
LA PEINE DE MORT
Les Allemands le traduisent en justice le 17 février 1944 devant le tribunal militaire, situé Bd de Belgique (aujourd’hui Bd Delestraint). Il lui fut reproché ainsi qu’aux autres membres du groupe FTPF, « d’avoir mis en lieu sûr des caisses en tôle remplies d’armes larguées par des avions anglais ». Les quatre patriotes furent condamnés à mort. Son recours en grâce fut rejeté malgré de nombreuses interventions locales. Cinq jours plus tard, le 22 février 1944, Albert Keyser fut conduit en camion, avec ses compagnons François Mothré, Georges Furier et Fernand Millot. Ils voyagèrent assis sur leur cercueil (6) . Au lieu-dit « Les Gambes », à Creney, lieu qui servait de champ de tir (7), les quatre Résistants du groupe Péri furent attachés à des poteaux (8) et fusillés. Ils moururent héroïquement, comme en témoigne l’abbé Bonnard, aumônier de la prison Hennequin, quelques jours après leur exécution.
Il rapporta une de ses dernières rencontres avec les condamnés : « Ils étaient quatre, des hommes jeunes, mûris par la souffrance et par l’impitoyable arrêt. J’ai passé une heure et demie avec eux. Assis sur le rebord d’un lit, je les ai confessés« .
Michel Freud témoigne à son tour : « Quelques jours plus tard, de passage à l’hôtel de Saint-Parres, le lieutenant Killian Schmit de la télé-Kommandantur qui était frère des écoles chrétiennes déclara à M. Jacob qui les avait vus mourir : « il faut que les enfants de Saint-Parres n’oublient pas ces quatre soldats. Ils sont morts bravement en criant « Vive la France » .
Le maire de Creney avait reçu l’ordre de creuser 4 tombes où les 4 héros furent inhumés. L’abbé revint la nuit avec des amis, exhuma les corps et les fit rendre à leur famille. L’acte de décès d’Albert, relevé par la mairie de Creney, indique qu’il est mort à 17 heures.
Il est précisé 17 h 07 par un témoin. Il avait 42 ans. Un deuxième acte de décès fut rédigé par le maire de Buchères, le 25 janvier 1949.
Quelques jours avant d’être fusillé, Albert Keyser a voulu régulariser sa situation avec sa concubine. Veuf en première noce d’Albertine Lagier, il se marie en prison, le 12 février 1944, à 10 heures, avec Marie-Louise SARDIN, débitante, née à Saint-André-les-Vergers, le 14 mai 1909. Elle habite alors 33, rue de la Mission à Troyes avec sa mère. C’est sans doute la preuve qu’elle ne peut plus habiter à Buchères après la pillage et les dégradations opérés par la Gestapo. Elle est également plus près de son époux et cherche à lui rendre visite. Il est à noter que ce mariage, destiné à protéger légalement, les époux a lieu dix jours avant qu’Albert ne soit fusillé. Le maire, René Douet, se déplace donc à la prison, 1 rue Hennequin avec Lucien Ducreux, chef de bureau. Le second témoin est Hans Grobecker, un Allemand ! La signature d’Albert Keyser est très hésitante alors qu’elle est normale sur d’autres documents. Il faut sans doute mettre cela sur le compte de l’affaiblissement général, dû aux tortures et au régime sec de la prison.
VIE RÉSISTANTE
Albert Keyser adhéra très tôt à la Résistance. Ses états de service reconnus par l’autorité compétente indiquent : « Résistant Région C Aube dans les FTPF du 1/10/42 au 3/10/43, date de son arrestation à Buchères par la Gestapo, sur dénonciation » Il participe, dès sa constitution, au groupe Gabriel Péri, appelé aussi groupe de Chantemerle, affilié au groupe Stalingrad plus important. Initié par Gaston Thuillier, il sera très actif sous les ordres des frères Louis et Henry Tripogney. Il est difficile de donner les noms des participants à ces différents groupes. Le personnel varie beaucoup selon les époques à cause de la répression féroce de la Gestapo aidée par le collabo Pigné, (l’homme au chapeau vert) que traquent Pierre Murard et Michel Freud (9). Le petit groupe Péri de St Parres-les-Vaudes est commandé par Furier, lui-même sous l’autorité de Daniel Traini qui mourra en déportation. Leurs activités sont nombreuses et efficaces.
LA RECONNAISSANCE DE LA NATION
Le 14 /6/1961, Mme Marie-Louise KEYSER, devenue épouse MILAN, fit une demande d’attribution de carte d’interné-résistant et fut interrogée sur la réalité de l’exécution et les circonstances de la condamnation à mort de son époux. Elle confirma qu’ Albert Keyser, né le 4/2/1902 à Saulnes (54), fut bien engagé dans la résistance de 1942 à 1944. Cette façon de procéder était légalement nécessaire. Cette demande ne put aboutir que le 10 février 1964. Le titre d’INTERNE-RESISTANT fut remis à Mme Milan. Il porte le N° 1219-21646.
Cette attribution est fort tardive car il y eut plusieurs vagues d’attribution, certaines familles n’ayant pas formulé leur demande à temps ou s’en étant désintéressé. Albert Keyser a été déclaré « Mort pour la France ». cote AC 21 P 65267
L’HOMMAGE DE LA COMMUNE DE CRENEY
En 2014, pour le 70e anniversaire du massacre des 22 février et 22 août, la mairie de Creney a rendu un hommage exceptionnel aux 53 victimes de la barbarie nazie. La commune a réalisé un beau travail pour honorer ces 53 héros. Le pas de tir où ils furent massacrés est maintenant planté de 53 arbres. Au pied de chacun est installé un panneau avec une photo et quelques mots relatant la vie de chaque maquisard.
Le monument de Buchères est situé au bout de l’allée des Martyrs. A partir de là, on se rend sur le lieu de l’exécution par un long chemin d’environ 3 kms.
Note concernant son épouse
Son épouse qui était née Marie-Louise SARDIN, s’est remariée après guerre avec M. Victor Milan dit « Totor », très estimé, ancien Conseiller Municipal du Front Populaire sous la municipalité Moguet, élue en 1936. C’est Moguet qui créa le stade de football, aujourd’hui appelé « Stade de Buchères ». Il administra un jour une raclée à un pétainiste qui voulait se mêler de ses affaires. La famille Milan, qui était également militante de gauche à Buchères, fut durement touchée par le massacre perpétré par les SS du colonel Jöckel. Ce sont Jeannine, Ginette et Paulette Milan, trois sœurs âgées de 14 à 16 ans et leur mère, née Émilie BLANC, 40 ans qui furent massacrées dans cette commune martyr. Marie-Louise tint le café jusque dans les années 50, le revendit avec le garage à la famille Molard et vécut chez Victor Milan jusqu’à son décès en 2006.
Jean LEFEVRE
SOURCES :
DAVC (Caen) notes de Thomas Pouty. In CDrom La Résistance dans l’Aube, AERI-CRDP Champagne-Ardenne. Sébastien Touffu, « Le groupe FTP Gabriel Péri », Le Maitron : Jean-Paul Nicolas. Jean-Pierre et Jocelyne Husson. Souvenirs de Jacques Philippon (Buchères). Jean Lefèvre (Archives de l’Aube, Caen et Le Blanc).
NOTES :
1 – Cette commune martyr connut l’horreur de la répression allemande le 24 août 1944. Les SS du colonel Jöckel abattirent sauvagement 67 habitants, hommes, femmes, enfants dont des bébés et des vieillards.
2 – Marie-Louise Sardin a longtemps vécu à Buchères 19, route des Maisons-Blanches. Elle y est décédée le 7 mars 2006 à l’âge de 96 ans. Elle est enterrée à Saint-André-les-Vergers près de son fils tué en Algérie.
3 – Front National de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France initié par le PCF en mai 1941.
4 – François Mothré, Georges Furier, Henri et Louis Tripogney, son épouse Léa (déportée, revenue), Pierre Duflexis, André Gaugue (déporté, revenu),Jean Basset, Fernand Millot, Charles Vadrot, Roger Nanys, Henri Prieux, Daniel Traini (qui mourra en déportation) et Abert Keyser.
5 – Hans Pfeffer, membre de la Gestapo de Troyes logée aux 32 et 34 boulevard Gambetta. Le procès des crimes commis par cette officine nazie eut lieu le 27 juillet 1952. Pfeffer fut condamné à 3 ans de prison. Ses chefs, Ochs et Hellenthal, aux travaux forcés à perpétuité, mais furent libérés en 1953 !
6 – Jean-Pierre et Jocelyne Husson
7 – Le 22 août 1944, 49 autres prisonniers de Hennequin furent emmenés sur ce même lieu et fusillés par un commando SS venu de Rennes au sein duquel se trouvaient des bretons sous uniforme nazi.
8 – Cachés jusqu’à la fin de la guerre et protégés de la destruction par deux habitants de Creney, les poteaux de la sinistre exécution du 22 février furent remis en 1984 par M. Roger Rouquet, maire de Creney, à M. Gerbais, maire de Mussy-sur-Seine qui les confia au musée de la Résistance de sa commune (note de S. Touffu).
9 – Pigné sera fusillé à Creney à la libération avec deux autres agents français de la Gestapo.