Madeleine Billat
Toujours bon pied, bon oeil, elle nous reçoit dans sa modeste maison de Bernon. Elle a le verbe haut, la parole facile et nous a tenu pendant près de trois heures d’affilée sous le charme de son récit. Elle s’appelle Madeleine Billat.
Elle a vécu l’horreur des camps, Ravensbrück et Holleischen dans les sudètes. Elle reste la dernière des déportées vivantes dans l’Aube, à ce titre, présidente d’honneur de l’ADIRP. Elle n’avait pas 17 ans quand les GMR* vinrent la cueillir le 25 mars 44 à Bernon. C’était le père Billat qui était visé comme résistant. Mais « la gamine » aussi résistait en douce. Elle ravitaillait le maquis de Robert Massé du Front national ; le vrai FN, créé en mai 1941 par le PCF qui luttait contre le fascisme.
La gamine fut donc emmenée à Troyes, rue de Preize, pour y être rudement interrogée par la « bande à Jacquet ». « Je ne sais rien, je n’ai jamais vu d’armes à la maison ! » répétait-elle, butée, sous les claques et les coups sur la nuque. Au final, on va emmener Madeleine à Châlons puis à la Roquette, prison pour femmes à Paris. Ces transports de prison à prison sont courants, le but étant de regrouper les « terroristes » pour former, en dernière instance, des convois pour l’Allemagne. L’avant-dernière étape sera le fort de Romainville, aménagé par les Allemands en camp d’internement « de répression » dès octobre 1940. C’est de là que partirent Charlotte Delbo, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova, Maïe Politzer en 1943, direction Auschwitz. Madeleine sera du dernier départ, le 11 août 1944, avec 102 autres déportées. à quelques jours de la Libération.
Ce qui la fera tenir pendant cette année terrible, malgré l’horreur du séjour, c’est la solidarité, raconte-t-elle. Les déportées plus âgées parmi lesquelles la mère et la soeur de Juliette Greco, l’appellent « notre bébé ». Mais le voyage en wagon plombé pendant de longs jours, sans nourriture ni boisson, a déjà gravement affecté sa santé. L’hiver fut horrible en 44-45. Il fallait travailler par tous les temps dans une usine de munitions appelée « marmelade », effectivement destinée à tout transformer en marmelade, même à l’intérieur de l’usine quand un accident s’y produisit. Libérée le 5 mai 1945 par les partisans polonais et tchèques, elle put rentrer en France ayant perdu 20 kilos. Madeleine eut quatre enfants par la suite dont l’un mourut à 17 ans, frappé par la foudre. Double souvenir douloureux à porter.
Elle porte au cœur ces « années chagrin », mais aussi cette formidable volonté de vivre pour témoigner. Elle le fait avec vigueur, sans pardonner les offenses ; celles qu’on lui a faites et celles faites à toutes ses compagnes mortes dans les bagnes hitlériens. Pas de pardon, non, à personne, aux tortionnaires, aux collabos, aux dénonciateurs. On ne réconcilie les gens que sur des valeurs d’entraide, d’amour, de justice et de démocratie. Voilà pourquoi Madeleine est restée toute sa vie fidèle à cette mémoire qu’elle éclaire de son infatigable volonté de témoigner.
* Police instituée par Pétain.