HOMMAGE AUX QUINZE RÉSISTANTS ROMILLONS FUSILLES A CRENEY

Allocution de madame Ginette Collot, présidente de l’ANACR de Romilly-sur-Seine :

« Romilly, ce 26 août 1944. C’est la joie, c’est l’allégresse. Les drapeaux français flottent aux fenêtres. La foule est là, dans la rue. Le centre ville est noir de monde. Les chars alliés sont là, investis par la jeunesse ; quelques jeunes filles sont hissées aux côtés des militaires américains. On y croit, c’est enfin la liberté, la fin de l’asservissement nazi.

Et puis, en peu de temps, c’est le choc, le déchirement ! Sur l’un des chars, l’une des jeunes filles vient d’apprendre l’horrible nouvelle : son frère, l’un de nos quinze jeunes maquisards, arrêtés après l’attaque du maquis de Rigny-la-Nonneuse, a été fusillé à Creney, quatre jours plus tôt ! La nouvelle se propage très vite. Hélas, oui, nos quinze jeunes Romillons, internés à Troyes, ont bien été massacrés par les nazis à Creney, le 22 août 1944 !

Je me souviens … J’y étais ! La douleur s’empare de nous toutes et tous. Pour ces milliers de Romillons et Romillons rassemblés au centre-ville, alors, c’est le repli … Chacune et chacun rentre à la maison, anéanti !

Ils viennent de tomber ce 22 août, alors que la liberté avait rendez-vous avec eux, avec nous tous, quelques jours après. Ils sont morts sur le chemin de la victoire qu’ils n’ont pas connue. Ils avaient pourtant répondu à l’appel de leur conscience. Ils sont morts pour la France des libertés, des droits de l’homme, de la justice, de l’égalité, de la fraternité. Leur mort n’est-elle pas le plus grand des témoignages de la barbarie nazie, massacrés sans jugement, eux dont la mort les unissait dans leur diversité, leurs familles n’ayant pu connaître leurs derniers moments, ni recevoir leurs dernières pensées, leurs recommandations posthumes ?

Ceci démontre la nécessité de faire connaître, en particulier à la jeunesse, cette période de notre histoire, le prix de la liberté, de la démocratie, des valeurs républicaines, ces valeurs qui sont l’héritage que nous ont légué ceux dont la vie s’est arrêtée ce 22 août 1944. Notre jeunesse, pour une partie un peu en perdition, a besoin de s’inspirer de ces valeurs pour construire son avenir, car elles sont un rempart contre le retour des idéaux pervers, dangereux, destructeurs que sont le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme.

La France, dont ces combattants sans uniforme rêvaient, n’était pas celle qui, aujourd’hui voit renaître ces idéologies. Pourtant, le temps du nazisme et du combat contre lui n’est pas du passé, ce danger n’est pas écarté, ces idéologies plus avant citées, sont toujours autour de nous et doivent nous interpeller. La folie meurtrière qui s’abat sur nos pays de nos jours, nous interpelle.

Rappelons-nous les attentats du début de cette année, cette décapitation odieuse récente qui sont les tragiques illustrations prouvant que « la bête immonde » n’est pas morte ! Les attentats perpétrés partout dans le monde sont une réalité d’aujourd’hui, et, sans doute, hélas de demain. C’est contre cette forme de barbarie que ceux que nous honorons ce matin se sont élevés.

Rappelons-nous aussi que, pendant des années, progressivement, le nazisme avait semé ses graines empoisonnées avant que certaines aient germé et amené ce « mal » qui peut resurgir à tout moment, en particulier en cas de crises économiques et sociales, comme celles qui ont amené Hitler au pouvoir, suivi de notre asservissement, celui-ci nous amenant la collaboration d’une frange de notre peuple. Et c’est alors, que, face au régime de Vichy qui organisait une répression sans faille, interdisant toute vie démocratique et sociale, à cette époque, c’est alors donc que l’activité clandestine devint la seule façon de lutter.

Les jeunes années de nos martyrs furent meurtries par ce régime de la pire servitude. Certes, ils n’étaient pas prédisposés à l’héroïsme, mais s’ils se sont engagés dans ce combat, c’est parce qu’ils n’acceptaient pas cette capitulation, cette collaboration lâche qui livrait le pays, ses richesses, ses habitants. Et, ce sont, toutes ces souffrances, toutes ces plaies subies par ces courageux combattants, par cette grande Résistance, qui ont permis que notre Libération ne soit pas seulement : américaine ou anglaise, mais qu’elle soit aussi française .

Cette cérémonie, organisée chaque année le 22 août depuis des décennies, est un acte de fidélité à leur mémoire et témoigne de notre volonté de ne jamais laisser leurs sacrifices tomber dans l’oubli. C’est pour nous, un devoir sacré. Si nous venons, chaque année, ce 22 août en ce lieu pour nous recueillir, c’est pour que leur mémoire continue de vivre. Ils incarnent les valeurs de la France. Leur héritage est l’honneur de notre pays et doit être reconnu à sa juste valeur. Ils étaient porteurs des valeurs modèles, contenues dans le programme du CNR dont les acquis nous échappent de jour en jour.
Leurs sacrifices ne doivent pas être banalisés, ils doivent être davantage développés dans la presse d’abord, et non pas évoqués comme de simples faits locaux en quelques lignes. Ils ne doivent pas être rangés dans le passé à oublier.

Il faut réveiller les consciences en cette période actuelle que l’on traverse, car un peuple qui oublie ou ignore son passé est condamné à le revivre, et notre liberté est très fragile ! L’indifférence devient un ennemi contemporain. Face à cela, nous avons un devoir de vigilance, cette page d’histoire ne doit pas être effacée, car la barbarie nazie a atteint des limites de cruauté insoupçonnables et inimaginables.

Sur ce monument, symbole de toutes les valeurs pour lesquelles l’ensemble de ces morts glorieux, ces gens ordinaires ont donné leurs vies, aux côtés des morts civils de notre ville, soit par bombardements, ou à l’exode, nous trouvons ces combattants « partis la fleur au fusil », ces « poilus » morts à la grande guerre de 1914/1918, également nos soldats morts à la période de 1939/1940, et puis aussi nos jeunes, morts à la guerre d’Algérie.

Mais, en ce jour particulier, nous nous inclinons devant nos martyrs massacrés à Creney, auxquels nous unissons nos fusillés à Montgueux en 1942 et 1944, tous ces
noms gravés aux côtés de leurs frères eux aussi victimes de la barbarie nazie, qui sont restés dans ces horribles camps de la mort. Et, quand, comme cela va se faire dans un instant, une voix va rappeler leurs noms et qu’une autre répondra : « Mort pour la France », notre cœur va se serrer.

Le 2 septembre 1944, toute notre ville conduisit ses 15 enfants martyrs de Romilly, victimes de la férocité nazie, à leur dernière demeure. Le temps était de circonstance, le ciel mêlant ses gouttes de pluie aux larmes des familles unies dans leur douleur au chagrin des quelques milliers de Romillonnes et Romillons présents en ce jour si douloureux, tous ces gens pour qui le visage de leur jeunesse est resté figé dans leur mémoire. Je m’en souviens, j’y étais ! Ils étaient l’image ineffaçable pour nous qui les avions bien connus !

Leur souvenir doit être immortalisé par notre ville. Un lieu de Romilly doit leur être consacré. Tel que cela eut lieu dans notre pays, dans le cadre du 70ème anniversaire de la Libération de notre territoire l’an dernier, et où nombreux ont été les martyrs de la Résistance a être honorés dans beaucoup de villes et villages, nos comités de Romilly
de l’ANACR et de la FNDIRP, ont soumis un vœu au maire de notre ville, pour qu’un lieu porte leurs noms. En l’occurrence, nous avons proposé que ce soit le rond-point du « pont de la Garenne ». La commission municipale chargée de la dénomination des voies de la ville a été favorable à notre souhait. Pourtant, M. le Maire que nous questionnons sur les suites qui seront données à ces accords qui nous conviennent dans un courrier reçu il y a quelques jours, néglige totalement de répondre à nos interrogations très précises, les ignorant et nous indiquant que la commission se réunirait en septembre pour de nouvelles propositions. Comprenne qui pourra ! Ce silence et ce retard à honorer nos martyrs sont inadmissibles. »